Le numérique a longtemps été perçu comme un outil neutre, un vecteur d’innovation, de croissance, de connectivité mondiale. Mais dans Géopolitique du numérique : L’impérialisme à pas de géants, Ophélie Coelho renverse cette perspective et nous livre une analyse implacable : derrière les interfaces lisses et les promesses d’un monde meilleur, ce sont les logiques de puissance, de contrôle et de dépendance qui dominent.
Avec une plume claire, documentée et incisive, l’autrice expose comment les Big Tech — Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft, mais aussi Starlink ou Palantir, ont pris une place stratégique autrefois réservée aux États. Infrastructure, données, satellites, intelligence artificielle, plateformes sociales : ces entreprises sont devenues des puissances géopolitiques à part entière.
Ce n’est plus seulement une guerre économique, c’est une lutte d’influence, une redéfinition des rapports de force mondiaux, où les câbles sous-marins deviennent plus stratégiques que les pipelines, et où l’algorithme est une arme douce à l’efficacité redoutable.
Une lecture pour reprendre du recul
L’un des grands mérites de cet ouvrage, c’est qu’il pose les bonnes questions sans sombrer dans l’alarmisme stérile. Ophélie Coelho retrace avec pédagogie l’évolution du rapport entre États et entreprises technologiques, des premières collaborations à la montée en puissance des plateformes devenues incontournables. Elle montre comment, dans des contextes aussi variés que la guerre en Ukraine, la censure en Chine ou la dépendance logistique de l’Afrique, ces acteurs privés imposent leur propre logique — souvent sans contrôle démocratique.
Ce livre donne des clés pour comprendre les nouvelles dépendances numériques : celles liées à l’hébergement, à la connectivité, aux systèmes d’exploitation ou aux outils collaboratifs. Il met aussi en lumière les angles morts du débat public : souveraineté numérique, fragmentation du web, diplomatie des câbles, hégémonie des logiciels propriétaires.
Une critique lucide, une vision engagée
Ce n’est pas un livre neutre. Et c’est tant mieux. Ophélie Coelho assume une posture critique, qui dérange parfois, mais qui fait mouche. Elle plaide pour une résistance stratégique, un réarmement numérique des États, et plus largement une repolitisation des choix technologiques. Elle n’oppose pas “progrès” et “prudence”, mais invite à réinterroger les infrastructures invisibles qui structurent nos sociétés.
C’est une lecture qui interpelle autant le citoyen que l’entrepreneur, autant le décideur public que l’utilisateur lambda. Le style est direct, sans jargon excessif, et malgré la densité des références, le propos reste très accessible.
Pour qui, pourquoi lire ce livre ?
- Pour ceux qui veulent comprendre le rôle des Big Tech dans les relations internationales.
- Pour les curieux de numérique souhaitant dépasser la vision purement technique ou économique.
- Pour les étudiants, chercheurs, journalistes et décideurs intéressés par la souveraineté numérique.
- Pour tout lecteur qui sent confusément que “quelque chose ne tourne pas rond” dans notre rapport aux technologies — et veut mettre des mots, des faits, des noms sur cette intuition.
En résumé
Géopolitique du numérique est un essai aussi éclairant qu’inquiétant, qui montre avec précision comment les multinationales technologiques ont déplacé les lignes du pouvoir mondial. En alliant rigueur intellectuelle et clarté pédagogique, Ophélie Coelho propose une lecture essentielle pour quiconque souhaite comprendre le monde numérique tel qu’il est réellement, et non tel qu’on nous le vend. Un livre incontournable à l’heure où nos vies, nos données et nos choix politiques sont de plus en plus dépendants d’infrastructures que nous ne maîtrisons plus.