Kindle et la fin du téléchargement local : ce que nous dit vraiment cette décision
Depuis le 26 février 2025, Amazon a supprimé une fonctionnalité discrète mais essentielle : la possibilité de télécharger ses livres Kindle via USB depuis le site web. La grande majorité des utilisateurs n’a pas vu passer cette information. Et pour cause : rien ne change, en apparence. On peut toujours acheter un livre en un clic, le retrouver instantanément sur sa liseuse ou dans l’appli Kindle. L’expérience reste fluide, pratique, silencieuse.
Mais pour une minorité attentive, cette disparition est un signal fort. Et elle mérite qu’on s’y arrête : car elle raconte, en creux, ce que nous avons perdu dans la transition vers le numérique. Et ce que nous pouvons encore regagner.
Le confort Kindle : une cage dorée
Personne ne remet en cause la qualité des Kindle. Leur confort de lecture est réel. Leur batterie dure des semaines. L’écosystème Amazon est bien huilé. Si l’on souhaite simplement lire, sans friction, c’est probablement l’un des meilleurs produits du marché.
Mais ce confort a un prix : l’enfermement. Le Kindle ne lit que des formats propriétaires. Il est conçu pour fonctionner exclusivement avec Amazon. Et depuis février 2025, il est même devenu impossible de récupérer un livre acheté au format .azw3 pour le sauvegarder, l’archiver ou le convertir 😱
Autrement dit : vous ne possédez pas vos livres. Vous y avez accès, tant que vous restez connecté. Tant qu’Amazon ne décide pas de retirer le titre. Tant que votre compte reste actif. Tant que les serveurs tournent.
Ce qu’on a vraiment perdu : la propriété
Télécharger un fichier sur son ordinateur, cela semble anodin. C’était pourtant l’un des derniers gestes d’autonomie que permettait le Kindle. Cela permettait :
de sauvegarder ses livres hors ligne,
de les convertir dans des formats ouverts (EPUB, PDF…),
de les transmettre à un autre appareil,
de les conserver dans le temps.
Avec cette suppression, tout passe désormais par le cloud Amazon. Un cloud dont vous n’avez aucun contrôle. Et qui peut, demain, décider de ne plus vous fournir l’accès à ce que vous avez pourtant “acheté”.
La lecture numérique glisse ainsi vers un modèle à la Netflix : vous n’achetez plus un livre, vous louez un accès. Et cet accès peut disparaître sans préavis. C’est déjà arrivé. En 2009, Amazon avait retiré à distance des copies de 1984 d’Orwell. L’ironie n’a échappé à personne. Rien ne garantit que cela ne se reproduira pas.
Une logique systémique : verrouiller pour mieux rentabiliser
Ce changement ne tombe pas du ciel. Il s’inscrit dans une dynamique plus large, observée dans toutes les industries culturelles numériques : verrouiller les usages, restreindre les transferts, rendre impossible toute sauvegarde locale… pour orienter les comportements vers la plateforme propriétaire.
Amazon ne veut pas que vous sortiez de son système. Pas seulement pour des raisons de DRM (droits d’auteur). Mais pour vous garder captif de son catalogue, de ses recommandations, de ses abonnements. La lecture devient un produit comme un autre, soumis aux mêmes logiques d’abonnement, d’optimisation algorithmique, de dépendance au cloud.
L’oubli progressif de la lecture comme acte souverain
Lire, ce n’est pas juste consommer du texte. Lire, c’est prendre le temps. C’est habiter une pensée, un rythme, une mémoire. C’est pouvoir revenir à une page, des années plus tard. Annoncer qu’un livre “n’est plus disponible” parce que l’éditeur a changé ses conditions ou parce qu’Amazon a modifié son offre, c’est nier cette temporalité-là.
C’est faire de la lecture un flux. Une consommation. Une chose interchangeable. Et c’est exactement ce contre quoi se bat Dumbphone.fr.
Des alternatives existent : ouvertes, sobres, respectueuses
Si vous ressentez un malaise à l’idée de ne pas vraiment posséder vos livres, sachez que vous n’êtes pas seul. Et qu’il existe des liseuses pensées autrement. Voici les principales alternatives crédibles :
Kobo
Éditée par Rakuten, Kobo est la concurrente directe d’Amazon. Elle prend en charge le format EPUB, largement répandu, et permet de charger ses propres fichiers facilement. Interface propre, matériel soigné. Une solution robuste, sans excès.
PocketBook
Une marque européenne souvent méconnue, mais d’une rare qualité. Ouverte, compatible avec un grand nombre de formats, connectable aux bibliothèques publiques via OPDS ou Adobe DRM, et même à des services cloud indépendants. À découvrir absolument.
Boox (Onyx)
Pour les utilisateurs plus avancés. Ces liseuses sont des appareils Android, permettant d’installer des applications comme KOReader, Calibre Companion, ReadEra ou même… Kindle, si vous le souhaitez. Elles ne sont pas parfaites pour tous, mais elles offrent une liberté quasi totale.
Autres solutions hybrides
ReMarkable ou Supernote, pour les amateurs de prise de notes combinée à la lecture.
Calibre (logiciel libre), pour organiser, convertir et envoyer vos ebooks vers vos liseuses, en toute indépendance.
Librairies indépendantes proposant des ebooks sans DRM (Digital Rights Management, ou en français : gestion des droits numériques).
Conclusion : choisir de lire autrement, c’est déjà désobéir un peu
Le Kindle restera longtemps une référence. Mais depuis 2025, ce n’est plus tout à fait le même produit. Ce petit bouton qui disparaît, c’est bien plus qu’un détail technique : c’est le signal d’un changement culturel. La lecture, elle aussi, glisse dans un monde sans friction, mais sans maîtrise.
Il ne s’agit pas de rejeter la liseuse. Il s’agit de comprendre ce qu’on achète. De savoir ce qu’on accepte. Et de choisir, en conscience, les outils qui prolongent nos valeurs. Parce que lire, c’est encore et toujours un acte libre.