Dans une rame de métro, les visages s’alignent, baissés sur un écran. Scène banale, universelle. Mais ce geste, si quotidien, reflète bien plus que de simples habitudes. Il parle de nos sociétés, de nos dépendances, et même de nos équilibres géopolitiques.
C’est ce que montre avec brio un reportage récent d’ARTE, Le Dessous des Cartes – La guerre des smartphones, que nous avons trouvé à la fois clair, documenté et percutant. Il offre une vision globale et nuancée de l’univers du smartphone, entre course technologique, tensions internationales et nouvelles aspirations à la déconnexion. Voici ce que nous en avons retenu.
Des écarts révélateurs
Selon une étude citée dans le reportage, les Sud-Africains passent en moyenne plus de 5 heures par jour sur leur téléphone. Les Japonais, eux, à peine 2 heures. Un écart qui peut surprendre, tant le Japon est perçu comme un pays ultra-connecté. Pourtant, cela révèle des usages différents : davantage de tâches effectuées sur ordinateur, une population plus âgée, et une culture qui valorise la discrétion dans l’espace public.
Le smartphone est donc omniprésent, mais jamais vécu de la même façon.
Une révolution industrielle et culturelle
Tout commence à la fin des années 1990 avec Nokia et Ericsson. Mais en 2007, Apple redistribue les cartes avec l’iPhone. L’écran tactile, la fluidité, l’accès Internet : le téléphone devient ordinateur de poche.
Avec l’essor de la 3G puis de la 4G, les ventes explosent. Samsung prend la tête. Apple se consolide. Une nouvelle vague arrive : Huawei, Xiaomi, Oppo. En 2019, Huawei dépasse Apple. En 2020, il dépasse même Samsung. La domination chinoise semble imminente.
Un objet devenu enjeu stratégique
Mais les États-Unis accusent Huawei d’espionnage. Sanctions, restrictions, coupure d’accès aux composants de pointe. Le coup est dur : Huawei chute de 18,5 % à 3 % de parts de marché en Europe entre 2020 et 2024.
Le cœur du problème ? Les semi-conducteurs, produits en grande partie à Taïwan par TSMC, avec des machines néerlandaises signées ASML. Ce n’est plus une simple guerre commerciale. C’est un affrontement stratégique entre blocs, et Taïwan est au centre du jeu.
L’Afrique entre en scène
Pendant que les géants s’affrontent, un autre terrain émerge : l’Afrique. En 2024, la région affiche +17 % d’abonnements mobiles, contre +4 % en Europe. Et c’est un acteur discret, Transsion, qui y règne. Ses marques Tecno, Itel, Infinix détiennent 40 % du marché africain, grâce à une stratégie redoutablement adaptée au terrain.
Et demain ?
Le marché ralentit. On renouvelle moins souvent son téléphone. L’innovation s’essouffle. Certains misent sur l’intelligence artificielle. D’autres, à contre-courant, choisissent la sobriété.
C’est ici que naît un autre mouvement : celui des téléphones minimalistes. Peu ou pas d’applications, pas de réseaux sociaux, parfois même pas d’écran tactile. Des appareils pensés pour réduire notre temps d’écran, et retrouver un peu d’espace mental.
Un miroir de notre époque
Ce que le reportage d’ARTE illustre parfaitement, c’est que le smartphone n’est plus un simple outil. C’est un révélateur. De nos usages. De nos vulnérabilités. De nos tensions industrielles et géopolitiques. Mais aussi de notre désir, profond, de mieux choisir notre rapport à la technologie.
En filigrane, une question : dans ce monde de flux constants, comment retrouver le contrôle ? La réponse, pour certains, pourrait bien tenir dans la poche, sous une forme plus simple, plus discrète, plus libre.
À voir
📘 Géopolitique du numérique, d’Ophélie Coelho, Éditions de l’Atelier